Progrès, développement et effets
collatéraux
En France, avertis par une voisine, les pompiers ont fait la macabre découverte d’un homme momifié dans son appartement. Dans le Journal du dimanche (JDD) du lendemain, on pouvait lire ceci concernant la momie : «sa peau était brunie et dure comme le cuir. Ses muscles se sont évaporés. Ses joues se sont creusées et ses yeux ont laissé place à deux cavités béantes […] elle pesait une dizaine de kilos».
Cette momie des temps modernes avait un nom, un statut social, une famille et des amis. Il s’agit de Patrice Henry, ancien pilote de l’armée, âgé de 56 ans au moment de son décès.
Un soir de juin 2008, Patrice s’est endormi sur son canapé-lit en tee-shirt et caleçon. Il est mort cette nuit là, sans que personne ne s’en aperçoive.
Il a fallu six longues années, avant que l’alerte soit donnée et de retrouver, enfin, son cadavre momifié.
Pendant toutes ces années, personne n’a pris la peine de le chercher. Pourtant son fils, des ouvriers, un huissier, et bien d’autres personnes sont venus jusqu’au pas de sa porte, ils ont sonné, attendu un peu et sont repartis, abandonnant ainsi l’homme, puis le cadavre et enfin la momie à sa solitude.
Ce qui interpelle le plus dans l’histoire de Patrice Henry est moins que son cadavre se soit momifié, que le fait d’avoir vécu tant d’années dans une terrible solitude affective et sociale. Car, si les momies sont filles de pénombre et de solitude, Patrice Henry, lui, était un Homme. Et l’Homme est un animal social qui ne peut exister que par les autres et à travers les autres.
À cette même période, de l’autre coté de la Manche, un autre fait divers tout aussi étonnant mais beaucoup moins tragique, s’est déroulé en Grande Bretagne.
Un richissime anglais a réussi à percer le mystère de l’une des plus grandes énigmes policières de l’histoire du crime. En effet, au grand dam des amateurs des mystères bien gardés, l’identité du célèbre serial killer Jack l’éventreur a été révélée. Pour y arriver, Russell Edwards, un homme d'affaires détective à ses heures perdues, a mis la main sur un châle ayant appartenu à Catherine Eddowes, une des victimes de "Jack l’éventreur". Ce châle avait été récupéré par un policier en 1888 sur la scène du crime. L’objet a été ensuite conservé au sein de la famille, et transmis de génération en génération, jusqu'à se décider à le vendre il y a sept ans à Russell Edwards.
Grâce à la biologie moléculaire et avec l'aide de Jari Louhelainen, spécialiste de la discipline, l'enquêteur a découvert du sang et du sperme sur l'étoffe. Il a ensuite retrouvé les descendants de la victime Catherine Eddows ainsi que ceux d’un des suspects de l’époque afin de comparer les ADN retrouvés sur le châle. Et quelques jours plus tard, bingo ! Les tests ont révélé l’identité du tueur en série. Il s’agit d’un juif polonais qui exerçait la profession de barbier et répondant au nom d’Aaron Kosminski.
A travers ces deux faits divers, on voit bien que l’homme est capable du meilleur comme du pire. D’un coté, grâce au savoir et à la science, l’homme peut réaliser aujourd’hui des miracles, c’est le cas avec la révélation de l’identité de Jack l’éventreur, 126 années après les faits. De l’autre, nous avons un homme qui est mort dans l’indifférence la plus totale de ses voisins, de sa famille et de la société toute entière. Pire encore, Patrice Henry est mort bien avant la nuit de son décès officiel. Il est décédé le jour ou il a cessé d’exister pour les autres, le jour ou personne ne se préoccupait de sa personne et de son devenir. De son vivant déjà, Patrice Henry ne vivait plus mais se contentait de remplir la fonction d’un être vivant en faisant semblant…..d’exister !
Alors, à quoi sert le développement technologique s’il se fait au détriment d’une régression des valeurs humaines et des liens sociaux? Et peut-on parler de véritable progrès quand des gens souffrent et meurent dans l’indifférence générale ?
Pour ma part, j’aurais tellement préféré que l’identité de Jack l’éventreur demeure à jamais mystérieuse, mais que Patrice Henry soit aujourd’hui parmi nous, ou du moins qu’il ait pu bénéficier d’un enterrement digne de sa personne. Car préserver la dignité de l’Homme, mort ou vivant, c’est bien cela le véritable développement.
Imounachen Zitouni ( Infosante N 5)