lundi 25 novembre 2013

MON FRERE LE CLANDESTIN

 


                               Mon Frère le clandestin

En lisant mon journal, j'étais surpris par un article relatant les péripéties et souffrances d'un clandestin espagnol au Maroc. J'ai imaginé alors ce que pouvait dire un clandestin du sud à celui du nord.

                            Qui peut comprendre un clandestin mieux qu’un clandestin ?

J’ai vu la mort rôder autour de moi, elle m’a frôlé mais n’a pas épargné mes compagnons de fortune. Toutes ces femmes et ces hommes fuyant la misère à la recherche d’une vie décente ont péri parce qu’indésirables.

Je te comprends mon frère, je connais cette peur permanente d’être arrêté et expulsé. Je connais l’humiliation ressentie quand on est payé au dixième du travail fourni. Je connais, mon frère, les âpres souffrances de la nostalgie de son propre pays et de sa famille.

Sans identité, ni projet de vie, je marche en rasant les murs des rues glaciales à la recherche d’une dignité et d’une justice que je n’aurais jamais. A force de me renier, je suis devenu les autres. Je suis tout le monde, mais jamais moi-même.

Combien de fêtes de mariage, de baptêmes et d’enterrements de proches ont eu lieu, sans que je puisse y prendre part ?

Combien de fois mes filles ont eu besoin de la présence d’un père ? Combien de fois ma mère avait besoin d’un fils pour l’aider à se relever ? Et je n’étais jamais là. Tout ce que j’ai pu offrir à ceux que j’aime, c’est quelques euros froids sentant ma sueur et mes humiliations.

Aujourd’hui, la boucle est bouclée, et te voilà, à ton tour, clandestin dans mon pays. Mais rassure-toi, je ne m’en réjouis guère, car désormais, tu es mon frère dans la clandestinité.

Cependant, je suis heureux tout de même. Non par esprit de vengeance, mais parce que toi, l’européen, tu sauras trouver les mots pour dénoncer cette injustice créée par tes concitoyens. Tu sauras interdire ces barrières qui cloisonnent les gens et les obligent à vivre dans la misère et la répression. Tu sauras écrire les textes de lois pour protéger et respecter le clandestin. Car, nous ne sommes pas égaux, même devant la clandestinité. Derrière toi, tu as un vrai état et une chancellerie sur lesquels tu peux compter.

Quant à moi, clandestin du sud, je sais juste me cacher et me taire. Je sais juste souffrir en silence. Si j’ai appris à renier mon existence et mon identité, je n’ai jamais appris, en outre, à dénoncer les injustices que je subis, ni à exprimer mes doléances.

Pour moi, la clandestinité est un destin. Je suis né pour être clandestin. Je me sentais clandestin dans mon propre pays, dans ma ville, dans ma rue et même dans ma famille. Je suis clandestin dans mon corps, dans mon identité et dans mes croyances. Même, après ma mort, je demeurerais clandestin. Et on désignera ma dépouille par : corps d’un clandestin. 

                                                                                     Écrit par: Imounachen Zitouni

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